Accueil » Billets scientifiques » Thèmes de recherche » Interventions » Exemples d'interventions » «Si vous pensez au suicide…» : 113Online, une intervention en ligne de prévention du suicide pour les Néerlandais

«Si vous pensez au suicide…» : 113Online, une intervention en ligne de prévention du suicide pour les Néerlandais

Dans le cadre du 9ème institut d’été consacré aux nouvelles technologies et à la prévention du suicide organisé par le CRISE, les 30, 31 mai et 1er juin derniers, le Dr. Jan Mokkenstorm a présenté 113Online, le service qu’il a mis en place sur Internet pour venir en aide aux personnes suicidaires[1].

Comme le soulignait, le Dr. Mokkenstorm, psychiatre et directeur médical de 113Online, la prévention du suicide n’a pas toujours été un enjeu aux Pays Bas, entre autres, parce que l’autonomie et le libre choix sont des valeurs sacrées pour  les Néerlandais. L’incidence  des cas de suicide, des tentatives de suicides et le nombre de personnes ayant des idéations suicidaires étaient pourtant préoccupants. Convaincu que la prévention du suicide est possible, le Dr. Mokkenstorm a créé il y a deux ans, une ONG œuvrant en prévention du suicide sur Internet, dans le but de réduire les barrières à la demande d’aide chez les personnes suicidaires.

113Online est un programme d’éducation, d’aide et  d’intervention particulièrement intéressant et novateur, qui  intègre plusieurs composantes :

  • une «hot line» accessible par téléphone et par chat 24h/24h et sept jours sur sept. Elle est assurée par des bénévoles encadrés par des professionnels qui peuvent prendre le relai si nécessaire,
  • un service de thérapie brève (8 sessions maximum) anonyme, et gratuit offert en ligne, par chat ou par courriel par des professionnels aux personnes les plus à risque,
  • Un forum modéré par l’équipe, où les usagers peuvent ventiler leur détresse et leurs sentiments négatifs, discuter de leurs expériences parfois difficiles avec le système de santé, et obtenir du support émotionnel, des conseils et des informations pratiques,
  • de l’information sur les stratégies pour s’en sortir et sur les ressources disponibles. Celles-ci sont directement accessibles depuis la page d’accueil du site qui dirige les différents publics que cible l’organisation en fonction de leurs besoins (les personnes en crise, les proches, les survivants, les personnes à la recherche d’information). Chez les personnes en crise, une distinction est opérée en fonction de l’âge de manière à distinguer les mineurs des adultes, les plus jeunes étant, de manière générale, plus à risque.
  • Un test en ligne pour évaluer le risque suicidaire, la dépression et l’anxiété, outil très apprécié des visiteurs. Ceux qui obtiennent un score élevé quant au risque suicidaire se voient proposer une thérapie en ligne.

Le site est disponible en néerlandais et cible uniquement la population des Pays-Bas. Les services de 113Online sont assurés par une équipe composée de 10 psychologues, 2 psychiatres (dont le Dr. Mokkenstorm), des bénévoles, auxquels s’ajoutent un webmaster et un directeur. L’organisme bénéficie d’un financement annuel substantiel et récurrent de 830 000 euros, acquis grâce à un travail de plaidoirie important.

 

Qui sont les utilisateurs et que retirent-ils des services proposés ?

Le site reçoit des milliers de visiteurs par an dans un pays ayant une population de 16 millions d’habitants. Rien que via le chat, l’équipe traite quotidiennement plus de 20 cas de crise et ce nombre est en progression. Le public qui bénéficie de ce service est âgé en moyenne de 25 ans et à première vue majoritairement féminin (48%  de femmes, 15% d’hommes et 37% de personne dont le sexe n’est pas précisé). Les thérapies brèves sont également de plus en plus populaires (25 thérapies complétées à ce jour par semaine, d’une durée moyenne de 5 sessions). Les utilisateurs des différents services se déclarent, dans la très grande majorité, très satisfaits de leur expérience.

Le Dr. Mokkenstorm a comparé l’efficacité de la hotline selon qu’elle est proposée par téléphone ou par chat. S’appuyant sur plusieurs des dimensions mises en évidence par Mishara et collègues dans leur évaluation des interventions téléphoniques  auprès de personnes suicidaires[2], il montre que le soutien offert en ligne s’avère plus efficace que l’aide téléphonique sur certaines d’entre elles, en particulier le sentiment dépressif et l’ambivalence à l’égard du suicide. Des résultats intéressants, à creuser notamment pour mieux cerner les mécanismes expliquant ces meilleures performances du chat.

Une initiative exemplaire qui répond à nombre des critères d’une intervention  efficace.

  • L’intervention s’appuie sur des modèles d’intervention et des stratégies dont l’efficacité a été démontrée scientifiquement,
  • l’équipe a mis en place un réseau de partenaires qui relaient ses services en ligne comme hors ligne
  • l’équipe est à l’écoute des moyens qui se sont avérés efficaces pour ses usagers, ces moyens pouvant être intégrés dans l’offre de solutions pratiques proposées à la clientèle. Il s’agit là d’une façon originale de reconnaître et de mettre à profit l’expertise des utilisateurs.
  • les actions mises en place font l’objet d’une évaluation.

Agir en prévention du suicide via Internet n’est toutefois pas sans soulever certains enjeux et défis.  En voici quelques-uns que j’ai retenus.

Tout d’abord, la popularité du site et l’efficacité des interventions proposées en ligne montrent que celles-ci répondent à un véritable besoin. Le premier défi se situe donc au niveau du développement nécessaire mais impliquant une augmentation des budgets de fonctionnement de manière à recruter d’autres professionnels et à accroître le nombre de volontaires.

Par ailleurs, alors que les hommes sont plus nombreux à passer à l’acte, les utilisateurs des ressources en ligne de prévention du suicide restent majoritairement des femmes. Si Internet permet de mieux rejoindre les hommes, entre autres, du fait de la possibilité d’anonymat, attirer ce public constitue encore un défi.

Les évaluations démontrent que la clientèle qui contacte 113Online est de manière générale plus à risque que la clientèle qui consulte les professionnels dans les services de santé ou contacte les services d’aide par téléphone. Ce faisant le travail des volontaires et des professionnels qui assurent les services est particulièrement exigeant. Il faut donc également repenser, non seulement la formation mais les moyens offerts pour soutenir les intervenants.

Enfin, le forum offert sur 113Online constitue à ce jour un lieu de discussion et d’entraide entre pairs, la présence de l’équipe se limitant à une modération des messages trop agressifs. Différentes études sur les forums santé montrent que les usagers sont ouverts à une présence plus marquée des professionnels dans ces espaces d’échange. Quelle forme devrait-elle prendre dans le cas d’échange entre personnes ayant des idéations suicidaires ? Ces espaces pourraient-ils favoriser le dialogue  qui semble particulièrement riche entre expertise profane et professionnelle ?

Références

[1] Mokkenstorm, J. (2012). «113Online : Éducation, aide et intervention sur Internet», 9ème institut d’été du CRISE, les nouvelles technologies et la prévention du suicide, 31 mai 2012.

[2] Mishara, B. L., Chagnon, F., Daigle, M., Balan, B., Raymond, S., Marcoux, I., Bardon, C., et al. (2007). Comparing Models of Helper Behavior to Actual Practice in Telephone Crisis Intervention: A Silent Monitoring Study of Calls to the U.S. 1–800-SUICIDE Network. Suicide and Life-Threatening Behavior, 37(3), 291–307.

À propos Christine Thoër

Christine Thoër est professeure au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal et directrice du Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté). Elle travaille sur les usages d’Internet par la population et les soignants, les transformations de la communication soignant-soigné et les interventions en ligne de prévention/promotion de la santé.

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiéeLes champs requis sont surlignés *

*