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L’entrevue en ligne : spécificités d’une méthode de plus en plus utilisée pour la recherche en santé

Avec le développement de l’Internet santé et plus largement des usages d’Internet par la population, de plus en plus de chercheurs s’intéressent à l’entrevue en ligne. Quels sont les caractéristiques, les avantages et les défis que pose ce type d’entretien ?

L’intérêt des entrevues en ligne

L’entrevue en ligne présente plusieurs avantages. Elle est tout d’abord particulièrement intéressante pour des recherches portant sur des populations distribuées géographiquement, difficiles à rejoindre ou stigmatisées, de même que pour des recherches traitant de sujets sensibles (comme la sexualité ou le VIH/Sida) pour lesquelles l’anonymat, ou du moins la perception d’anonymat que procure Internet, constituent un atout. Plus généralement, les méthodes de recherche en ligne semblent intéressantes pour atteindre des populations qui passent beaucoup de temps sur Internet (les jeunes par exemple) et ont l’habitude d’échanger avec des pairs en ligne.

Les entrevues en ligne s’avèrent également utiles dans le cadre de recherches portant sur des pratiques se déroulant sur Internet, par exemple la participation à des forums ou des communautés en ligne, la méthode permettant alors de rester proche du contexte naturel de l’objet. Kivits (2004) a ainsi eu recours à l’entrevue par courriel pour analyser le processus de recherche d’information relative à la santé chez des Britanniques. La recherche a duré plusieurs mois et permettait de questionner les individus sur une pratique (la quête d’information en ligne) qui se déroulait en parallèle.

Enfin, un avantage souvent souligné, est que l’entrevue en ligne ne nécessite pas de retranscription, ni de déplacements et s’avère de ce fait généralement moins coûteuse que l’entrevue en face à face. Toutefois, le coût peut augmenter si la relation d’entretien dure plus longtemps.

Un discours plus réflexif ?

Les articles qui comparent l’entrevue en ligne à l’entrevue en face à face mettent en évidence la différence des discours produits. Toutefois, il importe de souligner qu’il n’existe pas un, mais plusieurs types d’entrevues en ligne, celles-ci pouvant être asynchrones (entrevues par courriel ou par messagerie) ou synchrones (entrevue par Skype, par messagerie instantanée ou via le chat).

Dans le cadre des entrevues asynchrones, le discours produit est évidemment plus réflexif puisque le participant a beaucoup plus de temps pour construire sa réponse. De la même façon, l’interviewer a lui aussi un temps de réflexion augmenté qui lui permet de peaufiner ses relances sur les pistes qu’ouvre le discours de l’interviewé (Hunt et McHale, 2007). Toutefois, le coût de la transcription repose sur l’interviewé qui peut être amené à limiter son propos parce qu’il doit l’écrire (Kazmer et Xie, 2008).

Dans le cadre des entrevues synchrones, le discours est plus proche de la conversation et du rythme de l’entrevue en face à face. Il est aussi plus réduit, comme c’est le cas des échanges naturels se déroulant via la messagerie instantanée ou le chat. Il est de ce fait souvent difficile d’amener l’interviewé à approfondir ses réponses.

Nature et durée de la relation d’entretien dans les entrevues en ligne

Instaurer une relation de confiance est souvent moins aisé dans le cadre de l’entrevue en ligne que dans celui d’une entrevue en face à face. Plusieurs auteurs suggèrent, pour rassurer l’interviewé, de lui fournir des informations sur le projet de recherche (par exemple, via un site Internet institutionnel) ainsi que sur l’interviewer (par exemple en créant une page Web avec photo pour le présenter). Il est également conseillé à l’interviewer de se dévoiler dans le cadre des échanges, ce qui permettrait de favoriser en retour le dévoilement de l’interviewé (Kivits, 2004; Hunt et Mc Hale, 2007). Il est aussi très important de rassurer l’interviewé tout au long de la recherche, sur l’intérêt de ses réponses et de le tenir au courant de la progression de l’entrevue. L’interviewé n’a, en effet, pas accès aux signaux non verbaux (tels les hochements de tête) et aux autres formes d’encouragement, qui témoignent de l’écoute active de l’interviewer et du bon déroulement de l’échange.

La durée de la relation d’entretien varie d’une recherche à l’autre et selon les types d’entrevue utilisés. Certains chercheurs privilégient une durée de l’entrevue plutôt courte (Hunt et McHale). Kazmer et Xie (2008) rapportent plusieurs exemples de recherche s’appuyant sur des entrevues asynchrones, dans le cadre desquelles l’ensemble des questions de la grille d’entrevue fait l’objet d’un même envoi, puis d’une relance, pour un total de deux allers-retours. D’autres chercheurs préfèrent au contraire n’inclure qu’une ou deux questions par courriel et accumulent ainsi un grand nombre d’échanges sur une période pouvant aller jusqu’à plusieurs mois. Une plus longue relation d’entretien semble favoriser la construction d’une relation de confiance (Kivits, 2005). Elle permet aussi d’avoir un meilleur accès au contexte de vie de l’interviewé et s’avère particulièrement intéressante pour étudier des processus se déroulant sur le long terme (par exemple, le parcours de recherche d’information sur la santé ou l’expérience de vie avec une maladie chronique).

La relation de confiance qui s’établit semble également varier en fonction du contexte et de la plate-forme Internet utilisée. Une bonne relation d’entretien semble ainsi souvent plus facile à instaurer sur les messageries internes aux communautés virtuelles, notamment si le chercheur s’y est fait connaître, ou sur Facebook où il existe un certain sentiment de proximité entre les membres.

Les défis

En plus de ces spécificités, l’entrevue en ligne présente de nombreux défis pour le chercheur.
Le recrutement en ligne est le premier défi parce qu’il peut être difficile d’apprécier les caractéristiques des participants, l’interviewé pouvant prétendre qu’il correspond aux caractéristiques recherchées alors que ce n’est pas le cas. Cela pose le problème de la validité de la recherche, mais constitue aussi un enjeu éthique, par exemple, si un mineur participe à une recherche sur un sujet sensible pour laquelle on recherche des adultes (Hunt et McHale, 2007). L’organisation des rencontres synchrones peut également s’avérer complexe et nécessite de formuler des consignes très claires et de procéder à de multiples rappels pour s’assurer de la présence virtuelle des participants au moment déterminé (Kazmer et Xie, 2008). Enfin, le fait que les entrevues s’échelonnent sur plusieurs jours, semaines ou mois, signifie que l’interviewer est généralement engagé dans plusieurs relations d’entretien en simultané, ce qui ne facilite pas le suivi et implique une grande organisation du chercheur.

Une autre catégorie de difficultés découle de l’absence du discours non verbal, l’écrit permettant moins facilement d’apprécier la bonne compréhension des questions ou le ton de l’échange. À ce titre, des acronymes (comme «lol»), des émoticons (les «smileys») sont parfois utilisés (Davis, 2004), mais ils sont généralement insuffisants et pas utilisés par tous les publics. L’entrevue virtuelle ne permet pas non plus de bien saisir le contexte dans lequel se déroule l’échange, c’est-à-dire, par exemple, de savoir si une autre personne est présente pendant que l’interviewé tape sa réponse ou si l’interviewé est engagé dans plusieurs activités sur Internet en parallèle de sa participation à la recherche.

Maintenir l’intérêt des participants à long terme constitue un autre grand défi parce que l’interviewé est moins captif et peut de ce fait mettre facilement un terme à la relation d’entretien. Il peut ainsi cesser de répondre sans même en avertir le chercheur. L’absence de réponse de la part de l’interviewé est d’ailleurs souvent difficile à interpréter (le participant a-t-il été perturbé par la question ? Est-il las de participer à la recherche ou seulement moins disponible à ce moment-là?). Ce type de situation est également problématique sur le plan éthique puisqu’il n’est pas possible pour le chercheur de procéder à une clôture de l’entretien en bonne et due forme, et de s’assurer que l’interviewé n’a pas de questionnements et n’est pas trop déstabilisé par sa participation à la recherche. À ces difficultés pour évaluer les risques qu’encoure l’interviewé s’ajoutent les enjeux que posent l’obtention du consentement éclairé et le respect de l’anonymat et de la confidentialité. Ces aspects éthiques feront l’objet d’un autre billet.

Quelques références pour en savoir plus sur l’entrevue en ligne :

  • Beck, C. T. (2005). Benefits of participating in internet interviews: women helping women. Qualitative Health Research, 15(3), 411-422.
  • Davis, M., Bolding, G, Hart2, G, L. Sherr, L., Elford, J, Reflecting on the experience of interviewing online:perspectives from the Internet and HIV study in London, Aids Care, 16(8):944-952.
  • Hamilton, R. J., Bowers, B. J. (2006). Internet Recruitment and E-Mail Interviews in Qualitative Studies. Qualitative Health Research, 16(6), 821 -835.
  • Hunt, N., & McHale, S. (2007). A practical guide to the e-mail interview. Qualitative Health Research, 17(10), 1415-1421.
  • James, N., Busher, H. (2009). “Credibility, authenticity and voice: Dilemnas in online interviewing, Qualitative research, 6(3), p.403-420.
  • Kazmer, M., & Xie, B. (2008). Qualitative interviewinf in Internet Studies: Playing with the media, playing with the method. Information, Communication & Society, 11(2), 257-278.
  • Kivits, J. (2005). Online Interviewing and the Research Relationship. Dans C. Hine (Éd.), Virtual methods (Berg Publishers., p. 35-49).
  • Kivits, J. (2004) Researching the informed patient: The case of online health information. Information, Communication and Society, 7, 4, 510-530.
  • Lokman, IM. (2006). “E-mail interviewing in Qualitative research : a methodological discussion, Journal of the American society for information science and technology, 57(10):1284-1295.

À propos Christine Thoër

Christine Thoër est professeure au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal et directrice du Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté). Elle travaille sur les usages d’Internet par la population et les soignants, les transformations de la communication soignant-soigné et les interventions en ligne de prévention/promotion de la santé.

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